LA SITUATION DES ECREVISSES
EN FRANCE
RESUME
Depuis la fin du XIX" siècle, la distribution des écrevisses en France a connu de profonds
bouleversements , et l'introduction d'écrevisses allochtones en provenance essentiellement
du continent nord-américain, a irrémédiablement modifié le paysage astacologique français
et européen.
Les quatre enquêtes réalisées en France par le Conseil Supérieur de la Pêche depuis 1977, ont permis de suivre l'évolution des différentes espèces d'écrevisses recensées sur le territoire national, mettant à chaque fois en évidence la forte expansion des espèces exotiques et le recul des espèces natives.
L'enquête de 2006 n'échappe pas à celle tendance et la situation de nos trois espèces d'écrevisses doit désormais être considérée comme alarmante.
Deux de ces espèces se caractérisent par un statut de conservation proche de l'extinction (Austropotamobius torrentium et Astacus astacus) alors que la troisième, Austropotamobius pallipes est « réfugiée » sur les secteurs apicaux des bassins versants, confinée sur des zones soumises aux premières manifestations du changement climatique et isolées par les espèces exotiques qui progressent de plus en plus vers l'amont.
En effet, l'écrevisse du Pacifique (Pacifastacus leniusculus), mais aussi l'écrevisse rouge de Louisianne (Procamabrus clarkil), sont les espèces qui montrent la plus forte expansion géographique durant la période 2001-2006, partout elles apparaissent comme des concurrents redoutables, plus agressifs , résistants aux pathologies, capables de coloniser des habitats variés....
Ces deux espèces en particulier, étendent leur aire de répartition, et colonisent chaque année de nouveaux départements, de nouveaux cours d'eau, éliminant par la même, les espèces autochtones.
L'expansion des écrevisses introduites , l'arrivée récente en France d'une nouvelle espèce (Orconectes juvenilis) et les modifications de la Loi autorisant dorénavant le transport à l'état vivant des « espèces susceptibles de provoquer des déséquilibres biologiques » pourraient sceller définitivement le sort des écrevisses endémiques, si aucune mesure n'est prise rapidement par les autorités, dans le cadre d'un plan d'action national « écrevisse ».
INTRODUCTION
Les enquêtes nationales sur la répartition des écrevisses en France menées en 1977, 1988, 1995 et 2001 auprès des brigades du Conseil Supérieur de la Pêche (CSP) ont montré que l'évolution des populations d'écrevisses était très rapide, se traduisant notamment par deux tendances bien identifiées: recul et raréfaction des écrevisses endémiques, progression constante des écrevisses exotiques introduites (CHANGEUX, 2003).
Cette situation a suscité la mise en place d'une veille écologique spécifique à l'échelon national initiée par le CSP, et encadrée au niveau régional par les différentes délégations régionales de l'établissement. L'enquête menée en 2006 porte donc sur la période 20012006, elle doit en effet permettre de vérifier ces tendances et d'acquérir de nouvelles connaissances sur la situation spécifique des différentes espèces et sur leur répartition
géographique. Jusqu'en 2001, sept espèces d'écrevisses étaient identifiées en France: trois espèces autochtones, l'écrevisse à pieds blancs (Austropotamobius pal/ipes), espèce la plus largement répandue au niveau national, l'écrevisse à pattes rouges (Astaeus astaeus) dont la répartition naturelle semble couvrir l'est du pays et plus particulièrement les bassins de la Moselle et de la Meuse (LAURENT et SUSCILLON, 1962), et enfin l'écrevisse des torrents (Austropotamobius torrentium) , initialement signalée en Alsace (LEREBOULLET, 1858), longtemps considérée disparue et redécouverte dans le Nord-Est du pays dans deux départements (MACHINO, 1995; MACHINO, 1996; COLLAS, 1996, FRANCKHAUSER et MACHINO, 2001, HORNIER et al., 2001). quatre espèces introduites , avec par ordre d'apparition, l'écrevisse am érlcalne (Orconeetes limosus), originaire de la côte Est des Etats-Unis, l'écrevisse à pattes
grêles (Astaeus leptodaetylus), originaire d'Asie mineure et centrale, l'écrevisse du Pacifique ou écrevisse signal (Paeifastaeus leniuseulus) provenant de la côte ouest des Etats-Unis et l'écrevisse rouge de Louisiane (Proeambarus elarkil) quant à elle issue des bayous du Mississippi. Presque un siècle après l'introduction de la première écrevisse exotique en France, une nouvelle espèce Orconectes juvenilis (COLLAS et TAYLOR, à paraître) fait son apparition dans la faune astacicole française , découverte en 2005 dans le département du Doubs, elle est également originaire d'Amérique du Nord. Son apparition pourrait en entraîner d'autres dans un futur proche, la parution récente d'un atlas sur la répartition des différentes espèces en Europe (SOUTY-GROSSET et al., 2006) signale la présence de plusieurs écrevisses exotiques dans différentes régions d'Europe (Orconeetes virilis, Orconeetes immunis, Proeambarus sp., et Cherax destruetor, originaire
d'Australie) . Ce document présente les résultats de l'enquête 2006 et synthétise sous forme de carte de
répartition , l'ensemble des données pour les huit espèces recensées dans les différents milieux naturels aquatiques du territoire national. Enfin, il aborde sommairement les menaces qui pèsent sur les demières populations d'écrevisses indigènes.
1) METHODE
La méthodologie utilisée lors des enquêtes précédentes a été reprise en 2006. Un questionnaire d'enquête « express écrevisses », semblable à celui employé en 2001, a été diffusé par la Direction Générale du CSP à l'ensemble des délégations régionales au cours du mois de septembre. Dans chacune des délégations régionales un correspondant « écrevisses » était chargé de le diffuser auprès des brigades départementales puis de collecter et de centraliser les données avant de les transmettre au correspondant national pour exploitation. Un premier travail de vérification a été réalisé au niveau régional, cette étape a donné lieu à
de nombreux échanges entre le correspondant régional et les brigades départementales. Ces échanges se sont poursuivis entre les correspondants régionaux et le correspondant national, les cartes de répartition ont ainsi fait l'objet d'une validation dans chaque délégation régionale.
Par rapport aux enquêtes précédentes, on peut cependant observer plusieurs évolutions du questionnaire. Ainsi, et afin de préciser le statut biologique de chacune des espèces, outre la notion de présence/absence, il était demandé de préciser le nombre de sites pour chaque espèce mentionnée dans le département. La valeur devait permettre d'apprécier l'abondance de chaque espèce au niveau départemental.
D'autre part, il paraissait intéressant de recueillir des données sur les mortalités d'écrevisses en France, une rubrique supplémentaire a donc été ajoutée au questionnaire. Le questionnaire à remplir par chaque brigade (voir copie en annexe 1), porte sur l'ensemble du département sans faire intervenir de localisation plus détaillée. Chacune des cartes, présentées dans ce document, résume les informations concernant aussi bien les eaux libres (cours d'eau, lacs et retenues de 10 et 20 catégorie) que les eaux closes et les piscicultures. L'évolution à court terme a été appréciée en distinguant 3 classes : (1) disparition de population, (2) maintien des populations, (3), apparition de populations. Pour suivre l'évolution à long terme de la répartition, espèce par espèce, des cartes semblables ont été réalisées à partir des enquêtes précédentes (1977, 1990, 1995 et 2001). Les protocoles adoptés au cours des différentes enquêtes ont été suffisamment semblables pour qu'elles soient comparables entre elles. Ces indications sont utilisées dans la suite pour parler d'apparition ou de disparition, de diminution ou d'extension. Toutefois, comme c'est généralement le cas pour les informations de répartition, si la présence d'une espèce (figurée en grisé) est une donnée avérée, l'absence (figurée en blanc) est une information moins définitive car il n'est pas possible de mettre en oeuvre une prospection intégrale des milieux aquatiques.
Difficultés rencontrées:
Établir une carte de répartition nationale d'une espèce est un projet ambitieux qui se trouve confronté à différentes difficultés. Le niveau de connaissance général est très variable d'un département à l'autre, mais aussi d'une espèce à l'autre. L'information sur la localisation des espèces est souvent dispersée, aucune base de données n'existant actuellement au niveau national. La réalisation de l'enquête 2006 n'a pas échappé à ces difficultés et l'on peut globalement distinguer deux situations qui sont apparues lors de l'exploitation des réponses. S'agissant des écrevisses endémiques: les réponses au questionnaire font ressortir un niveau de connaissance que l'on peut qualifier de bon et qui se manifeste notamment par l'intérêt des agents pour ces espèces « vulnérables », selon le classement établi par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Cette connaissance globale de la situation départementale est généralement renforcée par des études ponctuelles destinées à proposer des mesures de gestion et de conservation (Natura 2000) ou par la réalisation d'atlas départementaux de répartition. Ces documents, souvent réalisés avec différents partenaires (Agence de l'Eau, Parcs Naturels Régionaux, Fédérations de pêche...) permettent souvent de mettre par écrit les connaissances historiques des agents de terrain.
Pour les trois espèces endémiques, les cartes de répartition publiées dans ce document font donc apparaître le nombre de sites actuellement connus dans chaque département. S'agissant des écrevisses introduites: plusieurs cas doivent être distingués. D'une manière générale la connaissance de ces espèces dans les eaux libres (au sens de la réglementation) peut également être qualifiée de bonne. Les études citées plus haut
permettent également de suivre, en parallèle , l'évolution des populations de ces espèces. Pour ces espèces et à l'exception d'Orconecfes juvenilis, les cartes publiées ne mentionnent pas le nombre de sites connus dans les départements, car les informations transmises sont généralement trop lacunaires ou imprécises sur les plans d'eau du domaine privé notamment.
Le cas des plans d'eau:
La situation se complique davantage lorsque l'enquête aborde la question des plans d'eau, plus particulièrement celle relative aux eaux closes, piscicultures et plans d'eau privés. Ces ouvrages, constituent un vecteur de dispersion des espèces introduites non négligeable, pour lesquels il est souvent difficile d'obtenir des renseignements fiables (aussi bien au niveau administratif qu'écologique). Dans certains départements leur nombre est tellement important (plusieurs milliers) qu'il est illusoire mais surtout très difficile, de vouloir connaître quelles espèces les peuplent. Cependant, s'agissant des plans d'eau du domaine public, où les agents sont amenés à intervenir régulièrement, la connaissance est satisfaisante.
La notion de sites:
Cette notion, suite aux modifications enregistrées dans la répartition des écrevisses en France, s'applique de façon satisfaisante aux espèces endémiques qui occupent généralement des linéaires de cours d'eau peu importants. En effet, les écrevisses autochtones sont aujourd'hui localisées sur des tronçons de cours d'eau facilement identifiables , à la faveur notamment des prospections nocturnes. Ainsi, plusieurs sites peuvent être observés sur un même cours d'eau ou un bassin versant. La taille d'un site n'est donc pas un critère homogène. Elle s'applique toutefois plus difficilement aux écrevisses exotiques qui sont capables de coloniser des linéaires entiers de cours d'eau. L'exemple de l'écrevisse américaine est le cas le plus fréquent, l'espèce est en effet censée occuper tous les grands axes fluviaux sur des linéaires importants. Dans ce cas, le nombre de sites sous-estime le niveau réel des populations au niveau départemental et donc au niveau national.
D'autre part certaines d'entre elles (Procambarus c/arkù) sont observées dans des milieux très variés (marais, étangs littoraux...), où la surface colonisée est parfois très importante.
2) Résultats
Parmi les indications qui ressortent de l'exploitation des questionnaires, plusieurs éléments semblent ressortir. Les brigades du Conseil Supérieur de la Pêche, montrent un intérêt réel au suivi des populations d'écrevisses. Cette tendance se vérifie notamment au travers des nombreuses études réalisées au niveau départemental, à la mise en oeuvre d'outils informatiques destinés à géo-Iocaliser les sites (base EXCEL, ACCESS... ).
D'autre part, il ressort de l'enquête réalisée en 2006 un intérêt manifeste pour deux espèces en particulier, l'écrevisse à pieds blancs (APP) et l'écrevisse du Pacifique (PFL). La première fait l'objet de recherches actives pour son intérêt en tant qu'espèce patrimoniale, la seconde est souvent découverte au profit d'études ponctuelles ou signalée par les usagers des milieux aquatiques. Ces deux espèces, bien représentées au niveau national, occupent des habitats similaires, et la recherche de sites à écrevisses à pieds blancs aboutit parfois à la découverte d'une population de P. lenisuculus ou d'Orconectes Iimosus. Les autres espèces endémiques (A. astacus, A. torrentium) , dont la répartition est plus retreinte au niveau national sont également bien suivies au niveau local. Pour les trois espèces endémiques, il a donc été possible de dresser des cartes de répartition indiquant le nombre de sites connus par département (annexes 2, 3 et 4).
2-1) Situation des espèces autochtones:
Les causes du déclin des espèces autochtones sont multiples , on peut citer l'apparition en Europe vers 1860 d'une pathologie (l'Aphanomycose ou peste des écrevisses) qui a décimé les populations à travers toute l'Europe. Cette pathologie serait apparue en France vers 1875 et aurait décimé les populations sur l'ensemble du territoire national en un peu moins d'une décennie. Partout, des mortalités massives ont été observées sans qu'aucun remède ne puisse être apporté. Cette pathologie continue de sévir aujourd'hui , comme en attestent des observations récentes.
La dégradation des milieux naturels liées aux aménagements (travaux dans le lit mineur, aménagement des bassins versants , création d'étangs...), l'altération de la qualité de l'eau (pollution) sont également à l'origine de cette tendance. En effet, les écosystèmes aquatiques intègrent toutes les conséquences des activités humaines, ils subissent de profondes perturbations et parmi les principales qui agissent sur l'habitat de l'écrevisse, on peut citer:
- La pollution des cours d'eau : L'écrevisse est très sensible à la qualité de l'eau, les pollutions ponctuelles ou chroniques (industrielles, domestiques ou agricoles) fragilisent ou détruisent les populations;
- la destruction de l'habitat : la modification de l'habitat suite à la réalisation de travaux à but hydraulique (curage, recalibrage, rectification) entraîne une uniformisation et une banalisation de tous les habitats nécessaires aux différents stades de développement de l'écrevisse. D'autre part, l'évolution des pratiques agricoles a entraîné de profondes modifications à l'échelle des bassins versants. Elles se sont traduites par une évolution de l'occupation des sols, disparition des prairies au profit de monocultures intensives
nécessitant des traitements par pesticides, des apports d'engrais ....
Cette évolution s'est généralement accompagnée de travaux d'aménagement des cours d'eau qui ont profondément et durablement modifié la structure physique de ces milieux. Réalisés à des fins hydrauliques, ces travaux ont banalisé les habitats de nombreuses rivières de plaine, détruisant par la même l'un des principaux habitats de l'écrevisse à pattes rouges.
Enfin, l'introduction d'espèces exotiques est également une cause de dégradation et de disparition des populations endémiques. Aujourd'hui, les dernières populations d'écrevisses européennes sont menacées par ces espèces qui présentent des traits biologiques plus favorables (stratégie démographique, résistance aux pathologies...).
Parmi les cinq espèces d'écrevisses introduites, quatre espèces sont issues d'Amérique du Nord: Toutes ces espèces du Nouveau monde sont porteuses saines de la peste de l'écrevisse (Aphanomyces estect; ou aphanomycose , et rentrent en compétition avec les espèces autochtones. Ainsi, en terme de compétition inter-spécifique , l'écrevisse du Pacifique doit actuellement être considérée comme la principale concurrente de l'écrevisse à pieds blancs. Les deux espèces, qui occupent des habitats similaires, entrent aujourd'hui en
compétition sur de nombreux bassins versants , avec dans la majorité des cas observés, un avantage pour l'espèce introduite. D'autre part les secteurs abandonnés par l'écrevisse à pattes rouges ou l'écrevisse à pieds
blancs ont été pour la plupart colonisés par des espèces exotiques moins exigeantes sans aucune possibilité de reconquête.
2-1-1) L'écrevisse à pieds blancs Austropotamobius pallipes (Lerebouillet, 1858)-
Ecrevisse à pieds blancs (Austropotamobius pallipes ) - femelle - photo : Marc COLLAS |
Considérée comme un indicateur de milieu de bonne qualité, l'écrevisse à pieds blancs fait l'objet d'une attention et d'un suivi particulier de la part des brigades départementales , des efforts spécifiques de prospection ont été réalisés dans un grand nombre de départements. Autrefois largement répandue sur l'ensemble du réseau hydrographique , l'espèce est aujourd'hui, essentiellement localisée sur les zones amont des hydrosystèmes, où les populations sont isolées, sans continuum écologique.
Le preferendum écologique de cette espèce exigeante, bien que centré sur la zone à truite décrite par HUET (1949), est relativement large avec des extensions dans la zone à barbeau. Selon la typologie établie par VERNEAUX (1973), la gamme typologique de l'écrevisse à pieds blancs s'étendrait au moins du 82 au 87 (TELEOS, 2004) avec un optimum typologique pour des niveaux compris entre 83 et 85.
Situation en 2006 :
Ainsi, l'enquête permet de recenser Austropotamobius pallipes dans 76 départements sur un total de 2501 sites. Les plus fortes concentrations sont observées sur le domaine continental , plus précisément dans les régions Bourgogne, Franche-Comté Rhône-Alpes, Auvergne , mais aussi sur les domaines méditerranéen (Languedoc-Roussillon) et alpin. Il est important toutefois de pondérer ces concentrations par les efforts de prospection qui peuvent modifier le statut de l'espéce. En Bourgogne où 1400 prospections ont été réalisées depuis 1999, une relation a été mise en évidence entre le nombre de sites à écrevisses pieds blancs et le nombre total de sites prospectés (LERAT et al., 2006).
L'écrevisse à pieds blancs demeure l'espèce endémique la mieux représentée en France, même si elle est absente ou n'est plus signalée dans 20 départements. Pour huit d'entre eux l'espèce avait pourtant été mentionnée par LAURENT & SUSCILLON (1962) : Aube, Charente, Landes, Nord, Pas-de-Calais, Bas-Rhin, Seine-et-mame, Somme. Dans ces départements et malgré les efforts de prospection, elle peut déjà être considérée comme disparue ou au bord de l'extinction. En Charente-Maritime et malgré deux années de
prospection , l'espèce est considérée disparue depuis 2000. Ses populations peuvent être considérées comme « reliques» dans vingt autres, où le nombre de sites abritant des écrevisses est inférieur à dix. Dans l'Hérault, la brigade observe l'apparition de Pacifastacus leniusculus sur le dernier secteur où les pieds blancs présentent une population intéressante, dans l'Indre comme dans plusieurs autres départements elle est présente sous forme « relictuelle », la Lozère mentionne que les populations diminuent ou disparaissent totalement sur des axes importants. Dans les observations faites par les brigades , les mentions « régression généralisée des populations, effondrement des effectifs, disparition de populations... » sont souvent utilisées par les brigades pour qualifier l'état de conservation de l'écrevisse à pieds blancs.
Ces observations sont confirmées par un nombre élevé de cas de mortalités, ainsi, l'écrevisse à pieds blancs représente à elle seule 89% des cas signalés en France pendant la période 2001 /2006, 41 départements en font état avec des origines diverses : événements climatiques observés depuis 2003 et épizooties diverses (Aphanomycose et Thélohaniose) . Les brigades ne précisent pas si les mortalités sont totales et si des possibilités de reconquête existent.
En terme de tendance, 20% des brigades signalent la disparition de populations, 45% signalent le maintien des populations et 10% signalent de « nouvelles populations », dont la découverte est vraisemblablement à mettre en relation avec l'effort de prospection en augmentation pour cette espèce. Par rapport à l'enquête de 2001, on observe que A. pallipes est signalée dans cinq nouveaux départements : l'Oise (3 sites), l'Aisne (3 sites), la Meurthe-et-Moselle (1 site), l'Essonne (1 site) et la Vendée (1 site). Dans ces départements, les prospections nocturnes réalisées dans le but de rechercher cette espèce ont permis de la mettre en évidence alors que dans certains cas (Meurthe-et-Moselle , Oise, Essonne), elle n'avait jamais été mentionnée
auparavant (CHANGEUX, 2003). On constate également que l'espèce n'est plus mentionnée dans deux départements, le Pas de Calais (uniquement mentionnée en 2001) et le département de la Creuse, où selon la
brigade départementale l'ensemble des sites connus a été déserté suite des mortalités massives observées au cours de l'année 2001 et dont l'origine n'a pu être déterminée. Pour ce département on observe pour la période concernée un développement très important de l'écrevisse du Pacifique.
L'enquête montre également qu' Austropotamobius pallipes est une espèce surtout présente dans les cours d'eau, bien qu'elle soit parfois mentionnée en plans d'eau (10 cas). Elle occupe surtout les cours d'eau à vocation salmonicole (2269 sites), et n'est que peu signalée sur les cours d'eau de seconde catégorie piscicole (222 sites). L'aire de répartition de cette espèce couvre les quatre domaines biogéographiques (cf. carte n01).
- l'espèce semble moins bien représentée sur le domaine atlantique, elle n'est pas mentionnée au centre et au nord (région parisienne et nord de la France), mais aussi sur une grande partie de la façade ouest ;
- sur le domaine méditerranéen, l'espèce est présente dans tous les départements, avec des niveaux de population variables. C'est dans les Bouches du Rhône que sa situation semble la plus délicate.
- sur le domaine continental, l'espèce est présente dans l'ensemble des départements à l'exception toutefois des départements de l'Aube et du Bas-Rhin, où l'espèce était historiquement présente (BALDNER, 1888 ; LAURENT et SUSCILLON, 1962 ; ANDRE, 1960) mais où elle n'est plus observée (disparition probable) malgré des recherches actives localement. En outre l'espèce n'est plus mentionnée dans le département de la Creuse (mortalités massives en 2001), dans le département voisin de la Haute-Vienne, une seule population qualifiée de {( relictuelle » est signalée.
- enfin sur le domaine alpin, l'espèce est présente en Haute-Savoie, en Savoie, en Isère et dans les Hautes Alpes. Les populations recensées voient leur aire de répartition colonisée par l'écrevisse du Pacifique, bien implantée dans le Lac Léman et dont l'expansion semble très rapide.
Sur les 76 départements où l'espèce est recensée, la pêche est autorisée dans 33 départements et interdite dans 42 départements. Là où la pêche est autorisée l'espèce fait généralement l'objet d'une pêche par les amateurs que l'on peut qualifier d'active, la période de 10 jours d'ouverture prévue par la loi est parfois raccourcie afin de limiter les prélèvements sur l'espèce.
2-1-2) L'écrevisse à pattes rouges Astacus astacus (Linnaeus, 1758) - Code ASA
Ecrevisse à pattes rouges (Astacus astacus) - mâle - photo : Marc COLLAS |
L'écrevisse à pattes rouges est une espèce d'Europe centrale qui touche en France les limites occidentales de son aire de répartition. Les différentes enquêtes montrent que l'espèce se rencontre surtout dans le nord-est (régions Alsace, Lorraine, ChampagneArdenne et Bourgogne).
Au niveau national, il semble que l'espèce ait toujours fait l'objet de nombreux essais de transplantation, d'abord en vue de sa réintroduction suite aux épidémies de peste et ensuite à des fins de production extensive. Ces expérimentations ont connu des succès divers. Cette espèce affectionne les eaux calmes des rivières à court lent, et des plans d'eau. Au niveau typologique, on la rencontre généralement dans les petites rivières de plaine. La bibliographie et les mentions historiques mentionnent que l'espèce fréquentait les grandes rivières (zone à brème) comme la Moselle et ses affluents aux alentours de Metz (PEUPION, 1898), ou la Meuse à Verdun, l'III aux portes de Strasbourg (BALDNER, 1888). Dans son ouvrage PEUPION (1898) mentionne que l'écrevisse à pattes rouges « se rencontre d'abord dans les cours d'eau où vivent les poissons tels que Carpe, tanche, chevesne, poissons blancs divers et enfin perche et brochet », il précise également « on les trouvait dans toutes les rivières en Lorraine et en Alsace-Lorraine.. . la Meuse sur tout son cours français et belge .. . la Moselle dont le cours en Prusse étai plus productif que le cours français ... La Meurthe, la Sarre, l'III et l'Aube » , Ses populations ont été décimées par l'apparition de l'Aphanomycose (peste des écrevisses) à la fin du XIXo siècle.. PEUPION (1898) indique « il a fallu tout au plus une année pour que la destruction fut complète dans tout le cours de la Moselle, de même dans celui de la Meuse, la ruine des cours d'eau lorrains et belges date de l'année 1878 », DE DROUIN DE BOUVILLE (1906) précise que « les premières manifestations eurent lieu en 1876, en différents point d'une assez vaste superficie, celle occupée par les départements de la Meuse, de Meurthe-et-Moselle, des Vosges, de la Haute-Saône, du Jura, de la Côte d'Or, de la Nièvre, de l'Yonne et de l'Aube . Le mal paraÎt avoir pris naissance en Lorraine », Il indique également « A la fin de l'année 1885, la peste avait exercé son action dévastatrice sur presque toute la surface du territoire français» . En une décennie, les peuplements ont été décimés. De nombreuses opérations de repeuplement ont dès lors été entreprises dans ces régions, ainsi dans le département de Meurthe-et-Moselle, 75 000 écrevisses en provenance de Silésie et de Pologne ont été déversées dans les cours d'eau du département à partir de 1881 grâce à des crédits votés par les Conseils Généraux (DE DROUIN DE BOUVILLE, 1901). Des tentatives identiques ont eu lieu dans le département de la Moselle (COLLAS, données non publiées).
Situation en 2006
En 2006 l'espèce est mentionnée dans 21 départements (16 en 2001), sur 115 sites. 44 sont situés sur des cours d'eau de première catégorie piscicole et 8 sur la seconde catégorie piscicole , 71 sites correspondent à des plans d'eau (62% des sites). L'aire de répartition naturelle couvre la partie Nord-Est du domaine continental, c'est à dire l'Alsace (Bas-Rhin : 11 sites), la Lorraine, région qui regroupe à elle seule prés de 50% des sites recensés, l'espèce est encore observée dans les quatre départements, et c'est en Moselle qu'elle semble la plus abondante (36 sites localisés pour la majorité dans les Vosges du Nord).
L'espèce est également observée en Champagne-Ardenne dans les départements de la Haute-Marne (7 sites), où suite à son introduction dans des plans d'eau elle a également colonisé certains cours d'eau, dans la Marne (4 sites) et dans les Ardennes (1 site). Les inventaires réalisés dans ces départements ces dernières années ont permis de préciser le statut de cette espèce dans cette région et de mettre en évidence des populations méconnues (JULIEN et al ; 2005). La Bourgogne (Nièvre : 9 sites, Yonne: 2 sites en plans d'eau (BLATTER O. com.pers.)) et la Franche-Comté (Haute-Saône : 11 sites) semblent constituer la limite sud-ouest de répartition .
Globalement même si l'aire de répartition de cette espèce s'est étendue au niveau national, on constate qu'elle est principalement le fait de tentatives d'introductions à des fins d'élevage (astaciculture extensive). Plus localement, et dans son aire de répartition naturelle , les populations continuent de régresser et de disparaître avec des mortalités massives sur certains sites sans identification précise de l'agent pathogène (SARAN P., com.pers.). L'espèce réussit à se maintenir dans de petits plans d'eau privés, mais on peut la considérer comme disparue des rivières de plaine qui constituaient autrefois son habitat de prédilection et où elle était abondante.
L'espèce, qui a aujourd'hui déserté la quasi-totalité du réseau hydrographique subsiste essentiellement dans des petits plans d'eau forestiers , exempts de pollution, et où les espèces exotiques sont absentes. Elle colonise partois l'émissaire des plans d'eau, mais son implantation est souvent limitée. L'espèce concurrence l'écrevisse des torrents , suite à son introduction dans des plans d'eau, d'où elle s'est échappée (COLLAS M., 2005) Par rapport à 2001, ASA est observée dans sept départements supplémentaires généralement sur un seul site et souvent suite à une opération de réintroduction (Allier, Côte d'Or, Drôme, Seine-et-Marne) seul le département de la Haute-Vienne compte 2 sites, alors que dans la Marne l'espèce est introduite dans des étangs conservatoires (GUIDOU F., Corn.pers.). Enfin, l'espèce est à nouveau signalée dans le département des Ardennes (déjà signalée en 1977 et 1995) sur un cours d'eau de première catégorie piscicole. Par contre, elle n'est plus mentionnée dans le Cantal et le Puy-de-Dôme. La pêche de cette espèce est très limitée, en raison de sa disparition sur le réseau hydrographique, elle est toutefois prélevée dans quelques plans d'eau privés pour alimenter la restauration locale, c'est le cas dans les Vosges du Nord, où un projet de développement d'étangs conservatoires est en cours de réalisation. La situation de A. astacus doit donc être considérée comme alarmante. Actuellement, la survie de cette espèce est directement liée à son intérêt gastronomique et aux essais d'astaciculture extensive dont elle fait l'objet par des particuliers.